Je l'évoquais dans mon billet d'hier, je n'avais pas encore été sur la banquise entourant l'île des Pétrels, il était donc temps, d'autant qu'elle se fragilise jour après jour, et que le moindre coup de vent, certes non prévu pour le moment, pourrait entraîner une débâcle rapide. Nous avons donc décidé d'y aller cet après-midi, lors de la journée la plus nuageuse depuis notre arrivée il y a 10 jours. Ce type de temps donne aussi des contrastes de couleurs très intéressants, plus subtils que la lumière du plein jour, qui écrase un peu tout en ce coeur de saison estival.

Je suis donc allé vers 17h sur la banquise depuis l'abri côtier, en compagnie de Régis, Alain, et Paul, médecin en campagne d'été, qui revenait la veille en avion (qui a atterri sur la piste de D10 !) de Concordia. Régis, en tant que chef de district, est chargé d'établir le périmètre de sécurité banquise, sur lequel nous avons le droit d'évoluer, autour de la base. Pour cela, il dispose d'une tarière, permettant de creuser des trous dans la banquise, pour en mesurer l'épaisseur. Nous avons emporté cette tarière pour faire quelques relevés sur la zone allant du chenal du Lion vers l'ancien emplacement de l'Aurora Australis, qui est arrivé à Hobart ce matin, ramenant une quinzaine d'hivernants de la TA69, dont mon prédécesseur, Gaétan, à la civilisation.

Notre objectif était  donc de sonder la banquise et de marcher vers cet emplacement encore largement visible, comme en atteste une des photos jointes. L'autre objectif, probablement le principal, était d'aller voir un groupe de poussins empereurs, jeunes manchots nés en juillet de cette année à la manchotière de DDU, qui terminent leur mue avant de plonger dans l'océan pour leur première nage. Ils peuvent rester en attente comme cela pendant des jours, éventuellement des semaines, jusqu'à ce qu'ils se sentent prêts à faire le grand plongeon.

C'est avec enthousiasme que nous avons posé le pied sur une banquise encore épaisse, bien qu'assez fracturée par de fréquentes rivières, qui n'étaient pas là lors de notre arrivée, et qui témoignent ainsi de l'usure de cette banquise 2019, qui ne devrait pas tarder à disparaître dans les prochains jours… Je dois dire que ça m'a fait quelque chose de reposer le pied sur cette banquise antarctique qui m'a laissé tant de bons souvenirs. Nous avons procédé à un sondage au milieu du chenal du Lion, indiquant environ 1m20 d'épaisseur pour la banquise, plus que largement suffisante pour nous, y compris pour les véhicules.

Ensuite, nous avons rapidement progressé vers le trou d'eau fait par l'Aurora, et le fameux groupe de poussins empereurs, qui étaient encore bien présents. J'ai reconnu leur piaillement aigu caractéristique, contrastant avec leur stature imposante d'adulte. Seuls les restes de pelage gris trahissent encore leur jeunesse. Cet hiver, nous reverrons des oeufs, puis les jeunes manchots de 2020 en sortir, grandir, et finir à notre départ de DDU au même point que leurs aînés de 2019.

Sur le trajet, j'ai croisé véritablement mon premier manchot empereur de ce séjour, qui s'est arrêté pour nous toiser, probablement curieux de cette rencontre pourtant assez banale à DDU. Un peu plus tard, un manchot Adélie sortant du trou de l'Aurora s'est approché tout près de nous, immobiles. Instants assez magiques de rencontre avec ces habitants millénaires de DDU, que nous nous efforçons de gêner le moins possible, sur "leur" banquise.

Après une bonne demi heure d'observation sur place, dans des conditions plutôt douces (0°C, un léger vent d'Ouest à 20-25km/h, cependant), nous avons repris le chemin de la base. Quelques minutes plus tard, en posant le pied sur une zone tout à fait anodine, a priori, de la banquise, mon pied gauche s'est enfoncé, et j'ai eu de l'eau presque jusqu'au genou ! Me voilà donc baptisé, en quelque sorte. Ce n'est pas vraiment la mer que j'ai goûtée, mais une zone de fonte de banquise qui a regelé à la surface. Je ne risquais pas vraiment de tomber dans l'eau. Enfin, disons que ça témoigne de la piètre qualité de cette banquise 2019, ce qui est assez logique un 16 Décembre, surtout après des semaines de douceur… qui perdure encore ces jours ci !

Le pied et le pantalon pas trop mouillés, je suis remonté avec mes 3 compagnons de promenade sur la base, où je me suis changé. Une heure et demie sur la banquise, et j'ai déjà goûté l'eau, j'espère que ça n'annonce pas une année trop humide en la matière ! Pas d'inquiétude, cependant : cette période de fin décembre est connue pour être "pourrie", sur la banquise. Dans ces conditions, et avec la douceur qui se maintient, voire s'accentue ces prochains jours, il n'est pas sûr du tout que la prochaine sortie banquise soit proche… Ca attendra peut être la banquise 2020 vers le mois d'avril, on verra bien !

Ce soir, pour conclure une nouvelle journée bien remplie, j'ai échangé par téléphone une bonne demi heure avec Météo-France Toulouse, où s'étaient regroupés des stagiaires de 3ème, qui m'ont posé une série de questions sur la Terre Adélie, notre travail sur la base, les différents aspects de l'aventure. Espérant susciter quelques vocations, j'ai conclu cet échange en souhaitant que certains d'entre eux puissent avoir la joie et l'honneur de venir ici, un jour. Ce que je souhaite à tous les lecteurs et lectrices de ce blog, ça va sans dire. A bientôt !