Actualités météorologiques

Ce texte vous est relayé sur Infoclimat via le blog Itinéraires Polaires, carnet de bord édité par François Gourand, adhérent Infoclimat et hivernant en Terre Adélie en tant que météorologue à Météo-France. Bonne lecture !

Le fait marquant de ces derniers jours à Dumont d'Urville est la constitution éclair d'une jeune banquise, à la faveur d'un coup de froid exceptionnel de précocité, avec des températures minimales ces derniers jours de : -18,2°C mercredi, -17,7°C jeudi, -16,2°C vendredi et -18,0°C ce samedi. En consultant les archives, le constat est simple : il n'y a jamais eu un tel coup de froid si tôt dans la saison, donc un début mars, à DDU, depuis le début des relevés météo en 1956. Ce sont des températures tout à fait classiques en hiver ici, mais pas une semaine juste après la fin de l'été Du coup, notre paysage s'est complètement transformé, avec un vent qui est resté raisonnablement calme ces derniers jours, et la banquise s'est formée partout autour de nous, et ce samedi en fin de journée, c'est à perte de vue, la mer a tout simplement disparu de notre paysage, alors que nous nous y étions bien habitués depuis le début de l'année

Et peut être que nous ne la reverrons plus, avant notre départ, pour une grande partie d'entre nous. Alors, bien sûr, de fortes tempêtes mêlées à des pics de douceur, quand les températures se rapprochent de 0°C, peuvent casser la banquise et créer des polynies (ouvertures d'eau libre entourées de banquise) en plein hiver, ça arrive quasiment tous les ans, parfois jusqu'au pied de l'île des Pétrels, mais on peut tout de même considérer, je crois, que notre banquise 2020 a déjà commencé à se constituer, dès la première semaine de mars, ce qui est extrêmement précoce.

Pour être complet, il faut quand même préciser qu'il y a eu des années pas si lointaines (autour de 2014 je crois), où la banquise n'a jamais débâcle autour de la base, même en fin d'été, et où la notion de disparition puis réapparition de la banquise n'avait donc pas beaucoup de sens. Mais il s'agissait plutôt d'anomalies, même si on a retrouvé cela à plusieurs reprises dans les années 2010. Lors de mon hivernage précédent, en 2009, on peut voir dans les archives de ce blog que l'eau libre nous a accompagné pendant un bon moment en mars, avec la formation lente et progressive de la banquise, avec d'abord des nénuphars de glace, puis un agglomérat, etc autant d'étapes qui ont été sautées allègrement cette année avec ce coup de froid vif, rapide, qui a tout figé dans la jeune glace de mer !

On peut donc d'ores et déjà dire que je vis un début d'hivernage bien différent de celui que j'ai connu il y a 11 ans, l'environnement a revêtu ses habits du long hiver, et ne serait-ce que le bruit du clapot marin, que nous avions il y a encore quelques jours en ouvrant les fenêtres de nos chambres, a complètement disparu, laissant place à un quasi silence désertique. D'autant que les manchots Adélie ne sont vraiment plus nombreux sur l'île, et qu'on n'entend pour ainsi dire pas du tout ceux qui restent, tout a donc bel et bien changé avec une rapidité foudroyante.

Quant à cette jeune banquise qui nous accompagne désormais, elle change de couleur : d'abord grise quand elle est fine, elle devient plus blanche et opaque en s'épaississant, et la question d'aller sonder cette banquise nouvelle se pose ainsi déjà pour Régis, notre chef, qui décidera si on peut déjà aller se promener sur certains secteurs proches de notre île dans quelques jours, déjà ! Un accent va être mis dans les prochains jours sur la sécurité lors des sorties banquise, les procédures à suivre, les affaires qu'il faut emmener avec soi, comment s'équiper, qui prévenir et quand, etc

Pour conclure ce premier coup de froid de la saison, un épisode de vent catabatique intense s'est produit entre vendredi soir et ce samedi après-midi, heureusement pour nous le coeur de la tempête n'a pas atteint DDU même, mais nous avons pu avoir un beau spectacle avec la formation d'un toujours spectaculaire mur de neige sur le continent. Le modèle météo du Centre Européen estimait le vent à 120-150km/h sur le continent, avant que cette masse d'air ne rencontre une masse d'air différente près de la côte, ce qui a ainsi provoqué un saut vers le haut du flux catabatique, par dessus. Par moments, nous avons eu un effet de rotor sur la base, avec un vent de Nord (direction de vent très rare ici) qui a atteint en moyenne 45-50km/h, avec des rafales à 60-70km/h, en fin de matinée. On voyait littéralement la neige se faire souffler « en sens inverse », par rapport au vent récurrent et régulier de Sud-Est ici, vision insolite. Je propose aussi quelques photos de cette étrange journée météo avec ce billet

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